Article de Luc Cédelle paru dans Le Monde.fr du 7 décembre 2009
C'est la pétition du moment. Celle qui réunit tout l'échiquier politique, du député (UMP) Hervé Mariton au sénateur (CRC-SPG) Robert Hue. Celle qui fait se côtoyer les signatures des principaux leaders du PS, tous courants confondus (Martine Aubry, Ségolène Royal, Vincent Peillon ou François Hollande) et celles de Cécile Duflot, (Verts) ou Marielle de Sarnez (MoDem).
Tous ces politiques ont ajouté leur nom samedi 5 décembre à une pétition lancée par vingt universitaires dans le Journal du dimanche. Ces intellectuels demandent que l'histoire-géographie reste un enseignement obligatoire en terminale scientifique.
La réforme du lycée présentée par Luc Chatel le 13 novembre dernier prévoit en effet que, en classe de terminale S, il n'y ait plus d'enseignement obligatoire - mais une option facultative - d'histoire-géographie. En compensation, l'horaire de cette discipline en classe de première S, actuellement de 2 h 30 par semaine, passerait à 4 heures.
Il s'agissait pour Luc Chatel de rééquilibrer les filières en tentant de faire du bac S un véritable bac scientifique. "Au moment où le président de la République et son gouvernement jugent urgent de lancer un grand débat sur l'identité nationale (...), cette mesure va priver une partie de la jeunesse française des moyens de se faire de la question une opinion raisonnée", affirment les signataires, réclamant l'annulation de cette décision.
Le ministre a répliqué en rappelant que les scientifiques arrêtent bien l'étude du français à l'issue de la classe de 1re et que par ailleurs les élèves de terminale S pourront suivre un enseignement optionnel de 2 heures en histoire-géographie. Or les élèves de cette section sont les plus gourmands en options. 28 % d'entre eux suivaient en 2008 une ou deux options facultatives. Ils sont même quatre fois plus nombreux à y étudier le latin qu'en terminale littéraire, et deux fois plus nombreux à y suivre des cours de grec.
Au lendemain de l'annonce des grilles horaires, seule l'Association des professeurs d'histoire-géographie avait protesté. Leur voix a été largement amplifiée par l'appel de ce week-end, lancé par le philosophe Alain Finkielkraut, le démographe Hervé Le Bras et dix-huit historiens, parmi lesquels Jean-Pierre Azéma, Serge Berstein, André Kaspi, Jacques Le Goff, Pierre Milza, Antoine Prost, Jean-Pierre Rioux, Benjamin Stora, Jean Tulard, Annette Wieviorka et Michel Winock. Des signataires rejoints dimanche par une série d'autres personnalités : le psychiatre Boris Cyrulnik, l'écrivain Philippe Delerm, le philosophe Michel Onfray, l'historienne Mona Ozouf, et des responsables politiques.
La protestation sur l'histoire-géographie n'est que la pointe avancée d'une fronde plus large. Dans d'autres matières aussi, des professeurs s'inquiètent. Ceux de sciences économiques et sociales (SES) jugent leur discipline "maltraitée", notamment du fait qu'elle serait un enseignement "d'exploration" d'1 h 30 par semaine, placé en concurrence avec un enseignement d'économie appliquée. Une manifestation des professeurs de cette discipline, le 2 décembre à Paris, a rassemblé moins de monde que n'en espérait leur association. Mais un appel, signé du sociologue Christian Baudelot, de l'économiste Daniel Cohen, du pédagogue Philippe Meirieu et de l'historien Pierre Rosanvallon a été lancé (Le Monde du 2 décembre 2009) pour demander au ministre de "revoir son projet".
L'association des professeurs de mathématiques de l'enseignement public et la Société mathématique de France ne sont pas en reste, qui estiment que les grilles horaires "laissaient présager" une diminution des enseignements scientifiques.
La réforme Chatel, sans bouleverser l'architecture actuelle du lycée, propose une seconde plus "exploratoire", un important tronc commun (60 % des enseignements) en 1re de façon à permettre des réorientations, et une spécialisation plus poussée en terminale, notamment pour la filière S, dont l'aspect scientifique est renforcé. L'introduction de deux heures par semaine d'accompagnement personnalisé des élèves conduit à grignoter sur les différentes disciplines.
Une intersyndicale regroupant sept syndicats, dont le SNES, le Snalc, la CGT, FO et Sud-Education demande à Luc Chatel de "renoncer à son projet", et prévoit une manifestation jeudi 10 décembre, jour où le projet de réforme doit être examiné au Conseil supérieur de l'éducation. Le SGEN-CFDT et le SE-UNSA, alliés avec la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), contestent ce "front du refus", considérant que cette réforme "ouvre des perspectives encourageantes pour les lycéens".
Les lycéens en ordre de marche
Le mouvement "n'attend qu'une médiatisation pour gonfler", écrit, dimanche 6 décembre, le Front de lutte pour l'éducation, qui regroupe 38 organisations proches de l'extrême gauche. Ce mouvement a commencé le 7 octobre par un blocage du lycée Léonard-de-Vinci à Levallois (Hauts-de-Seine). Il a rebondi le 22 octobre avec une manifestation de 500 lycéens à Rouen "contre le projet de réforme des lycées", puis à partir du 17 novembre à Nantes, où les manifestations n'ont plus cessé. Le 24 novembre, 15 lycées étaient perturbés dans les académies de Nantes et de Rennes et une vingtaine en Ile-de-France. Des blocages ou tentatives de blocages ont également touché les académies de Versailles et de Créteil. Ce mouvement fait tache d'huile, mais lentement et sans prouver jusqu'à présent qu'il est susceptible d'entraîner la masse des lycéens. Ces derniers, estime l'Union nationale des lycéens qui désapprouve ces tentatives, sont plutôt intéressés par la réforme proposée.