Article de Marc-André Gagnon paru dans le journal La Relève vol. 1 numéro 4
Depuis 2006, le débat entourant la place de l’histoire nationale au Québec fait rage et est loin d’être résolu. La publication du nouveau programme d’enseignement de l’histoire au secondaire intitulé Histoire et éducation à la citoyenneté a suscité de nombreuses critiques1 quant à son contenu. Selon ses détracteurs, le nouveau programme aurait tendance à occulter la référence nationale québécoise. Cherchant à développer la « pluriculturalité » au cœur des rapports sociaux, le programme d’histoire québécois doit selon ses concepteurs participer à la construction des identités individuelles plutôt qu’à l’identité collective. En conséquence, il convient de se questionner sur la place de l’histoire nationale dans la construction du récit mémoriel. De plus, en quoi ce débat sur l’histoire au Québec peut poser l’idée d’une histoire nationale dans l’entièreté de la francophonie canadienne? En analysant les différents programmes d’histoire s’adressant aux francophones hors Québec, nous pouvons observer que la référence nationale tend également à y être évacuée.
Cette référence est intimement liée à la capacité de la société de se représenter dans ses institutions, sa mémoire collective et son projet sociétal2. Selon le sociologue et philosophe Fernand Dumont : « L’identité peut en rester à l’expérience vécue; on parlera alors de sentiment national. Mais elle peut donner lieu à la construction d’une référence, c’est-à-dire de discours identitaire : idéologie, mémoire historique, imaginaire littéraire […]3. » L’histoire comme construction est au cœur de l’identité des sociétés. Elle restitue au présent une certaine définition collective, un certain projet commun qu’elle invite à reprendre, à réaménager, à poursuivre.
Le nouveau programme québécois
Au-delà des enjeux pédagogiques liés à la réforme scolaire4, le nouveau programme Histoire et éducation à la citoyenneté fut critiqué dès son annonce par le ministre Jean-Marc Fournier au printemps 2006. Selon Antoine Robillard du journal Le Devoir, le nouveau programme d’histoire chercherait à rendre l’enseignement « non national et plus pluriel », à « sortir du cadre habituel d’une histoire structurée autour des conflits entre francophone et anglophone »5. Avec ce prétexte en tête, le programme rompait avec son ancienne version, laquelle avait comme principe de permettre : « à l’élève de connaître le cheminement de la collectivité à laquelle il appartient afin d’en découvrir la nature et la diversité6 ».
Autrement dit, le nouveau programme d’histoire subordonnera l’enseignement de l’histoire d’une collectivité à l’enseignement de l’histoire des individus ou des processus sociaux (industrialisation, urbanisation, étatisation, diversification, etc.) composant et traversant celle-ci. Bien schématiquement, dans ce déplacement de l’acteur de l’histoire, la diversité et la normalité des parcours seront préférées, respectivement, à leur unité et à leur singularité.
Dans cette section, il sera question du premier volet du programme s’appliquant à la première année du 2e cycle. À notre avis, le programme réduit la portée de l’histoire comme récit fondateur d’une culture commune, d’une société aspirant à un projet sociétal. Alors que l’ancien programme reconnaissait que : « [les Canadiens] auront, ainsi, créé une société originale et légué un patrimoine qui se transmettra, en évoluant, jusqu’à aujourd’hui7 », le nouveau programme est représenté à travers la logique multiculturelle contemporaine selon laquelle les Québécois sont un groupe parmi d’autre. Les « francophones québécois » sont donc un groupe ayant des : « caractéristiques originales qui perdurent aujourd’hui concernant, entre autres, la langue, la culture et l’aménagement du territoire8 ». On assiste ainsi à une certaine folklorisation de l’être québécois.